Les marches du Sacré-Coeur
Je cale le corps désarticulé de papa sur un fauteuil roulant. Ce qui se produit rarement, car je manque de force pour le soulever.
Je compte chacune de ces installations pour un exploit sportif.
Papa m’encourage :
— C’est moi le fils. C’est toi le père.
Je suis assis à côté de lui, sur un banc du jardin des Diaconesses. Je ne le reconnais pas tout à fait. Les oreilles sont décollées et le gras des joues, habituellement à l’horizontale, se relâche.
Le soleil darde. Papa ne porte ni lunettes ni chapeau. Les buis taillés, les fleurs blanches et rouges, la caresse solaire nous transportent dans la nouveauté. Nous jouissons d’une relation inactuelle qui est nôtre et que ne concernent pas les mouvements de rue.
Cette relation me détache des visées communes et des discours ambiants. Elle confine à une posture aristocratique, mais je n’ai pas, pour l’affiner — pour m’exclure de l’assemblée —, les moyens financiers d’un renoncement social. Dans ce récit, porté par une écriture au tempo nonchalant et rêveur, Martin Melkonian redessine la figure du père et de la mère, parcourt à nouveau les chemins de l’enfance, de la jeunesse. A l’horizon de la mémoire monte l’ombre du génocide des Arméniens. De plus loin affleure l’exil — l’exil intérieur ?
128 pages.
Né en 1950, Martin Melkonian est écrivain et peintre. En 1984, il a publié Le miniaturiste (Le Seuil), puis, chez le même éditeur, Désobéir et Loin du Ritz. En 1995 ont paru Clara Haskil, portrait (Josette Lyon) et Les marches du Sacré-Cœur (Le bois d’Orion).