Journal 1997-1998 25 mars
Je rencontre de moins en moins d’humains. Ai-je froid ? En même temps, c’est sur ce grand cahier que je reviens chaque soir pour rendre compte de mes déconvenues et de mes aspirations. Pour réagir. Je souhaite en effet
« sauter le pas » sans bien comprendre ce que cette expression signifie — jeter probablement mon être dans la totalité magique d’une œuvre conséquente. Suspendu soudain la rédaction du roman trop poli à mes yeux ; réserve par rapport au ficelage syntaxique. Il faut que chaque phrase pousse comme une racine, dans la terre, cherche la nappe phréatique. Il faut que chaque phrase soit inondée, débordée. Elle n’a qu’à chercher sa propre perte. Ainsi de l’acheminement. Je me perds en chemin : c’est le chemin. Il n’en est pas d’autres. J’ai quitté la maison. Ma seule tendresse, le chemin. Impossible de retourner sur mes pas. Ma seule protection, le chemin. Déjà je n’ai plus tout à fait le même usage des lettres de l’alphabet ; et je me divertis du monde en m’en éloignant.

Se jeter : se mériter. Mériter le vivant en soi. Pénétrer justement, par l’entremise du silence ménagé autour de soi, dans cette zone de silence en soi depuis les origines. Zone antipode, froide s’il en est, ou encore désertique. Parcourir. Et admettre, en essayant de maîtriser l’imprudence d’une pareille équipée, que l’intérieur passe par l’extérieur, et inverse-ment ; que la zone de silence passe par Istanbul et qu’ainsi Istanbul remue les origines. 184 pages