Le 10 Mai 1968 – Le 10 mai 1943, le train me ramenait vers Harvard.
Le jour baissait, je griffonnais dans un cahier. Les peintures du couchant emplissaient le wagon. Dans le fond, des matelots hilares échangeaient des bourrades et dansaient au son d’un harmonica.
Par la portière je distinguais des clochers et des dômes. Le soleil recourbait ses ailes brillantes sur le nid empourpré que formaient les nuages à l’horizon.
Soudain je compris que nous étions, le monde et moi, comme deux cercles concentriques, unis par le même centre, et que ce centre était le Verbe. Vingt-cinq ans se sont écoulés depuis la « révélation » qui a fait de moi l’homme qui écrit ces lignes.
Tout se passe comme si, entre les hommes et moi, se dressait une cloison invisible, impalpable — et qui, fatalement, paraît imaginaire aux gens à qui j’en parle. Il me semble parfois que je perçois les objets les plus simples (une chaise, une table) différemment que les autres hommes.
Je me suis longtemps efforcé de croire que cette impression était illusoire. Les hommes diffèrent les uns des autres, sans doute ; mais ils ont tous ceci de commun, que chacun se croit unique. Ainsi, de tous les traits qui composent l’individu, la singularité est le plus banal. Les livres sont innombrables qui sous ombre de décrire une solitude et un malheur ne font que nous offrir le portrait plus ou moins hagard du premier venu.

1968-1971. Au cours de ces années, Charles Duits écrit abondamment, publie quatre livres, traverse une période cruciale, pendant laquelle il espère obtenir enfin la reconnaissance littéraire qui se refuse obstinément à lui, et doit faire face à «l’invraisemblable hostilité des choses ». Se mêlent ici des souvenirs de ses années new-yorkaises, des réflexions sur les écrivains qu’il admire, des notations sur ses préoccupations métaphysiques, ses expériences de méditation et de peyotl, sa vie de tous les jours.

Edition, préface et notes de Christian Le Mellec. 400 pages.  

Tirage de tête sur vélin de Lana. Prix : 57,90 euros