Hôtel Sevilla
Elle voulait voir le ciel débordant d’étoiles filantes. Elle s’était tenue une fois sous un ciel criblé de telles étoiles et n’avait pas été capable de former même le premier mot d’un vœu tant chacune lui coupait le souffle. Elle devait atteindre le sommet, lire à nouveau dans les cartes, tout voir. Elle ouvrit la porte du grenier. Les fenêtres étaient disposées tout autour comme dans un solarium ; quelques étoiles, embrumées dans la nuit, éclairaient la pièce ; elle entendait distinctement l’océan et pouvait voir, à distance, par-dessus les toits en angle, le blanc de la crête des vagues. Elle sentit des présences derrière elle, pensa que la musique recommencerait et qu’elle conduirait la farandole dansante des fantômes. Mais alors, dans le noir, elle vit sa mère, voûtée à une table, les plis et les lignes de son visage tels ceux d’une Chinoise ; elle ne savait pas si elle lisait un livre ou les cartes. Elle s’avança, consciente que ce n’était qu’une ombre, un esprit, et elle entra dans son corps, les paupières de ses yeux devenues peau de serpent comme ceux de sa mère, sa respiration tellement ralentie qu’elle ne bougeait plus. Des feux d’artifice pleuvaient sur le bâtiment.
Traduit de l'anglais par Claude Jeanneau
A Rockaway Beach près de New York, en 1947, vivent les Cohen, une famille de Juifs russes récemment immigrés. Il y a les quatre frères, Henri, Sol, Milton et Sam, et leurs fils. Mais le cœur de la famille est Eshka, leur sœur, veuve depuis peu. Eshka rencontre Elie Kaminsky, un écrivain qui écrit en yiddish. Commence alors une liaison amoureuse, et peut-être cette nouvelle vie qu’espère Eshka. Son fils, Max veut devenir écrivain et, grâce à Elie Kaminsky, il entre en contact avec le monde de l’édition.
Mais Eshka découvre qu’elle est malade, d’une longue maladie qui la conduira inexorablement à la mort.
Dans ce roman dense et implacable, Samuel Astrachan ne nous fait pas seulement partager la vie d’une famille d’immigrés juifs de Russie, à l’esprit de pionniers, il nous livre une histoire où s’entrecroisent les thèmes de la création littéraire, de l’attente de l’amour, de la vieillesse qui vient et de la mort déjà à l’œuvre. Par-delà se profile le destin du passager clandestin que chaque homme peut être.
192 pages.
Tirage de tête sur vélin de Lana, comportant une lithographie originale de Claude Astrachan.
Prix : 53 euros
Photo : Claude Jeanneau
Né en 1934 à New York, dans une famille juive originaire de Russie, Samuel Astrachan publie à 22 ans un premier roman, An end to dying, qui sera salué par la critique et notamment Lionel Trilling. Il reçoit une bourse de la Rockefeller Foundation, voyage au Mexique et en Europe. Devenu professeur de littérature, il poursuit une œuvre remarquée, publiant notamment Katz-Cohen, qui met en scène la destinée de deux familles de Juifs new-yorkais. Il épouse Claude Jeanneau, sculpteur, en 1960 et vit désormais une partie de l’année en France, dans les Alpilles puis à Gordes. En 1994, les éditions le bois d’Orion ont débuté l’édition de ses livres en français, dont Malaparte à Jassy, Hôtel Sevilla. Rockaway Beach 1947, Treife… Son œuvre exigeante, grave et puissante, reste comme l’une des plus saisissantes de cette génération d’écrivains qui émergea dans les années 50 à New York. Samuel Astrachan est mort le 5 août 2012 dans le Vaucluse, où il résidait depuis plusieurs années, à l'âge de 78 ans.