Aubes
28 novembre 2004. 5 heures et demi
A peine levée, et aussitôt appelée vers les baies vitrées, vers le balcon parce que c?est là, dehors, que quelque chose m?est donné. Ou plutôt, quelque chose là se donne, un don absolu fait de vaste, de silence et de clarté lunaire ? et qui se passerait de moi tout aussi bien, se donnerait de même absolument, se déverserait ? mais d?où ? et sans que rien bouge : ce don n?a rien d?une pluie d?abondance et aucune main ne verse.
Les baies vitrées éclairent assez. Je suis bien ainsi dans la fraîcheur et l?obscurité, plus rassemblée. Ma solitude est plus juste, plus accordée. Le balcon suspendu sur la nuit me suspend également. Au sud les montagnes sans volume : un bleu plus sombre et plus mat sur le bleu frais du ciel, un à-plat lisse que découpe la ligne des crêtes. Des étoiles. Un coq à peine. En bas, la ville et ses points lumineux. A l?ouest un floconnement léger qui se défait vers l?océan. Et là, le balcon de la maison, mais ce n?est plus le mien ni celui de l?architecte ou du notaire. Peut-être celui du charpentier parce qu?il y a mis les mains, et lui donnant ses lignes s?y est peut-être appuyé dans un mouvement d?abandon. Cette suspension au-dessus du jardin, des coteaux, de la vallée et face aux montagnes est trop belle pour qu?on ne l?éprouve pas en soi comme une douce invite? La lune pleine sur tout ce vaste semble redessiner le balcon d?un doigt de neige, d?une immatérielle matière de lumière de lune. On toucherait en vain. Nos doigts de chair sont trop pauvres pour appréhender quelque chose de ce bois de lune à l?aube. Nous n?avons que le regard. Nos yeux sont les moins décevants, les plus doués pour recevoir quelque chose du monde. Non pas mes yeux seulement, mais cela déjà poreux, déjà ouvert en moi ou dans le monde je ne sais, ou peut-être dans un mouvement de l?un à l?autre, une effusion continue, cela qui fait qu?à cette heure je suis debout, attentive et attendante, les yeux ouverts sur quelque chose dans la nuit dans le monde.
Face à la chaîne des Pyrénées, chaque matin Bernadette Engel-Roux s?éveille très tôt, avant le lever du jour, et a coutume d?écire des textes poétiques. C?est un ensemble de ces textes, écrits entre l?autonme 2004 et l?automne 2010 qui est présenté sous le titre Aubes.
112 pages
Bernadette Engel-Roux est née en novembre 1952 en Algérie. Elle a poursuivi des études à Paris. Professeur de littérature française, elle a enseigné à l’étranger (Afrique du Nord, Afrique Noire et Scandinavie) et en France, aujourd’hui à Pau. Bernadette Engel-Roux a tenu divers ateliers de poésie et participé à des conférences et des colloques internationaux sur la poésie française contemporaine, et est souvent invitée à des lectures de poésie.
Outre son œuvre de poète, ses travaux de recherche en poésie contemporaine ont porté sur les œuvres de Pierre Oster, Jacques Réda, Eugène Guillevic, Lorand Gaspar, Georges Schéhadé, Claude Louis-Combet... Elle a également traduit des poètes de langue espagnole et a été traduite en arabe, espagnol, roumain et bulgare.
Par ailleurs, de nombreux poèmes ont paru en revues : Poésie 91 à 2003, Sud, Critique, Théodore Balmoral, Rehauts, Voix d'encre, Sorgue, Nunc, Autre-Sud...
Bernadette Engel-Roux a notament publié Nocturne, avec un frontispice de Pierre Dubrunquez et un Avant-Dire de Jean-Yves Pouilloux (éd. Corlevour, 2005), Une Visitation (L’Arrière-Pays, 2005), prix Louise Labé 2007, Demeure de Mélancolie (La Pierre d'Alun, 2007), Hauts sont les Monts (Corlevour, 2008).